Le texte et le contexte
Débutons en expliquant ce que signifie l’idée d’inflation des notes (traduction libre de Grade Inflation). Simplement dit, il s’agit du fait que les notes des étudiants augmentent avec le temps qui passe. Ainsi, l’inflation est un phénomène facile à remarquer, il suffit de faire la compilation des notes sur un nombre relativement important d’étudiants sur une durée suffisamment longue pour regarder s’il y a ou non une augmentation des notes attribuées.
Un article fort intéressant tiré du blogue campusexplorer.com résume une recherche qui montre une augmentation du nombre de A donnés dans différentes institutions postsecondaires au États-Unis de 1940 à 2009. Cette recherche, tirée de la revue Teaching College Record est disponible, en partie, ici. Notons qu’aux États-Unis, on utilise principalement les lettres A, B, C, D et F (qui remplace le E dans les systèmes anglo-saxons), sans plus (+) et sans moins (-).
CampusExplorer résume ainsi les résultats obtenus:
Long-time critics of grade inflation, the team found that A’s on average represent 43% of all letter grades in higher education. This is an increase of 28 percentage points since 1960 and 12 percentage points since 1988. B’s average about 34% and C’s average at just under 15%, while D’s and F’s typically total less than 10% of all letter grades. The study only found slight differences in grading for public vs private institutions, as well as colleges and universities by region.
Je prends le temps de souligner cette dernière phrase sur le nombre de D et de F qui est somme toute très faible. En regardant le graphique suivant, tiré de la recherche mentionnée plus haut, on s’aperçoit que le nombre de F a peu changé depuis 1940 (une diminution de 2%, mais qui survient surtout entre 1940 et 1970). Ce sont plutôt les notes A, B et C dont l’attribution a varié. Si on se concentre sur l’université « moderne » soit celle qui existe depuis la fin des années 60 et le début des années 70, on voit que ce sont surtout les notes A et C dont l’attribution a énormément varié. Vers 1969, on donnait à peu près autant de A que de C, alors qu’en 2008, on donnait environ 40% de A et moins de 15% de C.

- Figure tirée de l’article de Rojstaczer et Healy (2011)
L’intérêt de ce texte, en plus de mettre en lumière un phénomène dont la tendance ne semble pas se démentir, est de chercher l’explication en émettant plusieurs hypothèses sur ce qui explique cette inflation. Un des premiers éléments sur lequel les auteurs s’attardent est la Guerre du Vietnam, qui expliquerait deux choses. D’abord, l’augmentation des notes à la fin des années 60 et au début des années 70 qui serait justifiée par le fait que de permettre à des étudiants d’avoir de meilleures notes, empêchait à ceux-ci d’être conscrits. Ensuite, cela expliquerait aussi, sur la courbe des A, le creux après la fin de ce conflit, alors que les enseignants n’auraient plus eu cet incitatif (principalement moral).
Dans les autres hypothèses, il y a la présence grandissante des femmes dans les universités, l’amélioration des étudiants dans le temps, l’amélioration de la pédagogie et finalement, une augmentation des stratagèmes utilisés par les étudiants pour éviter un échec (comme les politiques d’abandon des cours). Statistiquement, les auteurs réfutent ces hypothèses comme ayant peu ou pas d’effet.
Ils retiennent donc une autre hypothèse:
The consumer-based approach to undergraduate education has also resulted in a desire to keep students pleased with their class experiences and to measure the degree to which students are satisfied with their instructors and classes. Student-based course evaluations rose in prominence on college campuses in the 1970s, and their use became increasingly common though the 1980s and 1990s. In 1973, 26% of 600 surveyed liberal arts colleges employed student ratings of teachers; in 1983 and 1993, the numbers rose to 68% and 86%, respectively (Seldin, 1984, 1993). These evaluations are used for more than just improving instruction; in the 1980s and 1990s, they increasingly began to play a minor to significant role in decisions regarding pay, promotion, and retention of instructors. The widespread use of course evaluations likely has had a profound influence on grading. (Rojstaczer et Healy, 2012)
Il s’agirait donc d’une inflation réelle des notes, menant à une situation ou, en 2009, la note A est celle qui est le plus souvent accordée.
Et après, et ici?
Évidemment, nous ne pensons pas que la guerre du Vietnam ait eu un impact au Québec sur les notes dans les universités. Cependant, il n’est pas impossible que l’aspect clientéliste ait aussi eu un effet ici aussi, bien qu’aucune étude de ce type ne soit disponible, à notre connaissance au Québec et au Canada. L’abandon dans une grande partie des facultés de la distribution normale a ouvert la porte à des systèmes maison qui sont régis par les enseignants individuellement et qui deviennent donc enclins à des variations de ce type.
Cependant, il reste que, selon les chiffres présentés, ce sont surtout une variation entre le A, le B et le C qui survient. Cela ne remet donc pas le rôle de l’université comme filtre, puisqu’il semblerait qu’il y a encore des étudiants qui échouent, bien que ce soit finalement très peu.
La morale
Depuis 1940, tant de choses ont changé dans les universités, principalement avec l’arrivée en masse d’étudiants et à la plus grande accessibilité de celle-ci. McKeachie présente les notes comme un moyen de communication entre l’enseignant, les étudiants, la faculté et, dans certains cas, les employeurs. Il est donc important que la signification des notes soit claire, et manifestement, ce n’est pas souvent le cas. D’ailleurs, je suis encore un peu surpris que près de 45% des étudiants inscrits à un cours aient obtenu un A, puisque j’étais sous l’impression que cette note était réservé aux étudiants ayant dépassé les attentes. Peut-être n’est-ce pas finalement le cas?
Les auteurs ont aussi cherché à documenter les politiques de notations des universités. Ils ont d’ailleurs reconnu que les institutions qui avaient cherché à mettre en place des politiques réelles et concrètes pour régulariser et clarifier la notation avaient réussi à le faire. Le prix étant que les enseignants perdent une partie de leur autonomie en devant respecter des règles.
Dossier à suivre, n’est-ce pas?
Référence
Teachers College Record Volume 114 Number 7, 2012, p. – http://www.tcrecord.org ID Number: 16473.